« Les Grands désordres »,
de Marie Cardinal
Durant
les années 80, à Paris
Elsa
Labbé est une femme épanouie âgée de quarante cinq ans environ.
Il y a très longtemps, elle a perdu Jacques, son mari, tué durant
la guerre d’Algérie, sa fille Laura étant alors âgée de deux
ans.
Les
parents d’Elsa tiennent toujours un magasin de lingerie à Aix,
ville où elle est née et a grandi.
Elle
n’a pas refait sa vie et sa fille l’appelle par son prénom, ce
qu’elle a toujours regretté.
Aujourd’hui,
au sortir d’une période très douloureuse de sa vie, elle éprouve
le besoin de raconter ce qu’elle vient de vivre, et charge un
obscur écrivain d’écrire sa biographie à partir de souvenirs
qu’elle mettra par écrit sur brouillon ou dictés sur bande
magnétique. Des rendez vous réguliers sont pris, et la biographie
prend forme. Au fil des jours, l’écrivain sera captivé par cette
femme et son histoire.
Elsa
a donc élevée seule sa fille et poursuivit ses études, vivant de
son travail de secrétaire auprès d’un éminent scientifique
qu’elle admire beaucoup, le docteur Greffier, ce dernier ayant
concouru pour le prix Nobel. Plus tard, ses études achevées, elle
s’est établie à Paris en tant que psychologue, mais sans cesser
de voir celui ci avec qui elle entretient une relation ambiguë.
Elle
a un ami, François, qu’elle retrouve depuis trois ans à
l’occasion de vacances sur la côte Est des Etats-Unis. La vie
semble s’écouler le mieux du monde puisque lors d’un congrès en
Australie, elle y fait un exposé remarqué sur l’ « Entropie »
(désordre local psychique) qui pour elle est en relation directe
avec les sécrétions d’hormones locales, notamment l’endorphine.
Mais
coup de théâtre, à son retour de vacances, elle retrouve son
appartement dévasté et souillé. Où est sa fille qui l’occupait
en son absence ? Que s’y est il passé ? Tel un rituel de
sorcellerie, les cordons des rideaux des fenêtres forment des toiles
d’araignée et des hameçons parsèment le sol. Sa voiture est
absente de son garage. Comment joindre Laura à son petit studio,
puisque la ligne téléphonique est coupée malgré qu’Elsa ait
confié à sa fille des chèques en blancs pour régler les factures
à sa place ?…Enfin, c’est l’éprouvante révélation de la
découverte de seringues dans la salle de bain. Le mot « drogue »
s’imprime dans l’esprit d’Elsa qui comprend que sa fille est en
grand danger.
Dans
le courant de la nuit, Laure revient à l’appartement et avoue à
sa mère qu’elle est devenue une droguée. Pupilles dilatées et
ayant beaucoup maigri, elle implore son aide, lui disant que dans
l’immédiat, du Tranxène 50 lui suffirait « pour tenir le coup ».
Elsa apprend alors qu’un certain Marcel, dit le « fou »,
fournisseur d’héroïne de sa fille, s’est emparé de ses chèques
et a épuisé son compte en banque.
La
nuit arrive, Elsa et Laure s’endorment, brisées.
Le
« manque » réveille implacablement Laure en pleine nuit et la
jette dehors durant trois jours pour partir en quête de drogue. Les
petits expédients qu’elle trouve auprès de ses compagnons
d’infortune étant hélas insuffisants pour calme son manque, elle
se résigne donc à revoir son dealer qui est furieux de n’avoir pu
encaisser les derniers chèques d’Elsa après que celle-ci soit
passée à sa banque. Il met violemment en demeure Laure de lui
rembourser cette somme. Celle-ci s’échappe.
Au
matin, Elsa se réveille, seule dans l’appartement. Elle va
récupérer sa voiture, accidentée à Orly, et va la faire réparer.
Elle remet ensuite l’appartement en ordre tout en recevant les
appels téléphoniques du dealer ou des « amis » de Laure réclamant
de l’argent ou de la drogue. Un vocabulaire inconnu lui apparaît :
shoot, fixe, chit, héro, speedy, LE MANQUE, etc.…
La
liaison téléphonique rétablie, elle prend ses dispositions pour
diriger sa clientèle vers un confrère afin d’être disponible
pour sa fille à temps plein. Elle pense naïvement que trois mois
suffiront à remettre sa fille sur les rails.
Son
ami François qui vit en Amérique ne lui est d’aucun secours, lui
disant que sa fille est perdue et qu’elle ne doit penser qu’à
son travail pour se sauver elle-même. Elle met donc fin à sa
relation avec lui. Quelques temps plus tard, elle fera de même avec
le docteur Greffier qui était pour elle comme une référence dans
le savoir humain et qui la décevra également.
Laura
réapparaît enfin pour apprendre par sa mère leur départ imminent
pour le sud de la France
En
trois jours, Elsa, brisée, a perdu ce qui faisait son monde,
c'est-à-dire son travail, son ami et ses projets, elle n’a plus
d’autres choix que de pénétrer et d’affronter le monde
effrayant de sa fille.
Le
voyage vers Hyères, à l’hôtel de la Falaise, la fait voyager
avec une Laura inconnue qui emmène le diable avec elle et qui n’est
plus tout à fait sa fille. Culpabilisée, Elsa, fataliste, se dit
que ce qui est arrivé devait arriver et était écrit. Toute sa vie
défile durant ce voyage. A l’arrivée, c’est l’espoir déçu
de voir Laura de fort mauvaise humeur ne pas profiter du cadre
idyllique de Hyères, ses crises de manque hantant leurs nuits, et
son corps parsemé de mouchetures rouges et de morsures l’empêchant
de prendre un bain de mer à la vue de tous.
Elsa
la psychologue pleine d’assurance qui croyait tout savoir sur les
mécanismes de l’âme humaine se sent aujourd’hui désarmée
devant sa fille. Sa remise en cause est également totale en tant que
mère.
Une
autre dose de Tranxène à dose maximale ne semble être d’aucun
effet sur sa fille…c’est l’impasse pour Elsa qui pense alors à
l’un de ses amis psychiatre qui habite Marseille. Départ donc pour
Marseille où elles restent les dix jours nécessaires à la
désintoxication physique de Laure, puis elles s’envolent pour un
séjour de deux semaines à Agadir au Maroc, journées hélas hachées
par l’humeur changeante de Laure. Enfin c’est le retour à Paris
où suivant le conseil de son ami psychiatre, Elsa veut que sa fille
entre en relation avec d’anciens drogués s’en étant sortis afin
qu’elle se soit plus seule à lutter. Et c’est la trahison,
puisque lors d’une première rencontre avec Alex, une ancienne
connaissance de Laura, celui ci remet à sa fille qui lui avait
discrètement demandé une petite dose d’héroïne à l’insu de
sa mère. Terrible colère d’Elsa qui cependant laisse repartir
Alex… /…
Ce
roman met l’accent sur l’épreuve que vivent les proches d’une
victime de la dépendance à la drogue. La description de ce
véritable chemin de croix menant à une hypothétique guérison est
ici très bien exposée par l’auteur, que ce soit du point de vue
de la victime que de celui de sa mère.
L’épreuve
vécue par sa fille remet brutalement sa propre vie en question, de
par ses certitudes et ses valeurs qui seront périmées à jamais.
Michel